W et la polygraphie du cavalier

« … ce ne sont pas les éléments qui déterminent l’ensemble,
mais l’ensemble qui détermine les éléments … »

Georges Perec

« W » est la citation minimale et ultime de La vie mode d’emploi qui se révèle ici au travers d’un espace virtuel composé d’extraits de l’oeuvre de Georges Perec et construit en jouant avec les règles choisies par l’écrivain.

En préambule à La vie mode d’emploi, Georges Perec compare son ouvrage à un puzzle constitué d’un ensemble de romans. Ceux-ci retracent, dans une tentative d’épuisement du réel, la vie d’un immeuble parisien entre 1875 et 1975, au travers de 99 chapitres, pour autant de pièces.

Parmi les contraintes que s’est imposé Perec pour nourrir sa liberté, la polygraphie du cavalier détermine la structure même de l’oeuvre. L’immeuble est schématisé par une grille 10×10 dont les cases sont explorées en suivant une solution de ce problème : faire parcourir à un cheval toutes les cases d’un échiquier sans passer deux fois sur la même.

Le projet W est une interprétation algorithmique de La vie mode d’emploi. Un extrait composé de 224 caractères est prélevé dans chaque chapitre en progressant du début à la fin. L’extrait du chapitre 1 commence par les premiers mots du livre : « Oui, cela pourrait commencer ainsi… », et celui du chapitre 99 s’achève par le dernier mot, ou plutôt, la dernière lettre : « W ». Ces 99 fragments sont ensuite disposés dans un espace tridimensionnel pour retrouver la structure de l’immeuble et donc de l’oeuvre. Sous une vue frontale, les extraits sont indissociables et forment une image plane composée de caractères. Mais dès qu’une rotation est opérée, le puzzle se disperse donnant à voir l’ordre des chapitres par leur profondeur. À l’instar d’un flipbook, 99 rotations successives mettent en mouvement ces morceaux de Perec recomposés jusqu’à laisser apparaître une forme « depuis longtemps prévisible dans son ironie même ».

Dans la continuité des Liseuses, le projet W engendre des images paradoxales : tout à la fois séduisantes, de par leur esthétique computationnelle, et inquiétantes, de par leur logique implacable. Paradoxe qui interroge la place de nos humanités dans un monde absorbé par les machines et les algorithmes que nous créons.